Togo, Kenya, RDC-Rwanda, trois secousses, un même mépris

Il y a une Afrique que l'on fait taire dans le sang, une autre que l'on anesthésie avec des promesses de paix à Washington, et une troisième qui hurle sa colère dans les rues et sur TikTok. Le mois de juin 2025 aura été celui d'une dissonance brutale entre les aspirations des peuples et les agendas de ceux qui les dirigent ou les encadrent de loin. Pendant que les morts s'empilent au Togo et au Kenya, la communauté internationale se félicite d'un accord de paix à l'Américaine entre Kigali et Kinshasa. Trois contextes, trois trajectoires, mais un même dénominateur : le mépris. Mépris pour les peuples. Mépris pour la douleur. Mépris pour la souveraineté populaire.
Togo : la peur, l'usure et le silence complice
Au Togo, on ne manifeste plus pour changer le monde. On manifeste pour rester vivant. Et paradoxalement, c'est en manifestant que l'on meurt. Les 26, 27 et 28 juin derniers, la jeunesse togolaise est descendue dans la rue, sans parti, sans consigne, mais avec une rage froide, réactivée par vingt ans de mensonges, de privations, et de mutilations institutionnelles.
Trois jours de mobilisation, sept morts selon les ONG, trois selon les gendarmes, zéro selon la présidence. Des corps repêchés dans la lagune, des têtes éclatées, des adolescents traqués jusque dans leurs chambres. Pendant ce temps, Faure Gnassingbé — héritier démocratiquement d'une dynastie militaire — n'a pas daigné s'adresser à la nation. Pas même un tweet.
La CEDEAO non plus. Depuis que ses réprimandes ont été renvoyées à l'expéditeur par Bamako, Ouagadougou et Niamey, l'organisation sous-régionale s'est réfugiée dans une posture d'attente. Mais à quoi sert une CEDEAO qui ne condamne pas les tirs à balles réelles sur des manifestants pacifiques ? À sanctuariser les présidents au pouvoir, pas les peuples.
Kenya : la jeunesse en feu, l'État aux abonnés absents
Ailleurs, à des milliers de kilomètres de Lomé, une autre jeunesse hurle. Au Kenya, la colère a un hashtag : #RutoMustGo. Elle a aussi des visages : ceux des blessés, des détenus, des jeunes tués par les forces de sécurité alors qu'ils commémoraient les manifestations meurtrières de 2024.
William Ruto, élu sur des promesses de rupture, impose des lois fiscales qui saignent la population : taxes sur le pain, sur l'énergie, sur les transactions numériques. Résultat : un pays en ébullition, un pouvoir d'achat en ruine, une légitimité érodée.
La répression ? Systématique. Amnesty International parle de 16 morts et plus de 400 blessés. Le gouvernement, lui, parle d'infiltration, de vandalisme, de "jeunesse manipulée". Comme si réclamer de quoi vivre était une subversion. Comme si les vivants n'avaient pas le droit de crier avant de devenir des martyrs.
Mais au Kenya, une nouveauté : la rue numérique. TikTok, X, Instagram, deviennent les réseaux d'une insurrection populaire où les mots remplacent les machettes, où les filtres masquent les larmes, où les slogans viraux font trembler un Parlement sourd. Un député qui vote une loi impopulaire est identifié, traqué, dénoncé publiquement. Le parlement digital est plus efficace que le parlement physique.
RDC-Rwanda : une paix sous contrat, à Washington
Pendant ce temps, aux États-Unis, la RDC et le Rwanda signent la paix. Une paix qui promet beaucoup : retrait des troupes rwandaises, éradication des FDLR, coopération économique. Tout cela, avec le sourire de Massad Boulos, conseiller de Donald Trump, en guise de garantie. La guerre des Grands Lacs, vieille de trente ans, soldée en une poignée de main à Washington.
Mais où était le peuple congolais ? Où était la société civile rwandaise ? Où étaient les victimes, les femmes violées, les déplacés internes, les enfants soldats ? Ils n'étaient pas dans la salle. Ce n'était pas leur paix. C'était un accord géostratégique, signé sous la bannière d'un pays étranger qui a toujours confondu diplomatie et discipline.
Cette paix n'est pas fausse, mais elle est orpheline. Elle ne repose pas sur la mémoire, encore moins sur la justice. Elle repose sur des calculs. Sur des réalignements. Sur la peur d'un nouvel embrasement que Washington veut éteindre avant novembre 2025. Non pour sauver l'Afrique, mais pour éviter une crise à exploiter par la Russie ou la Chine.
Au Togo, on tire sur des adolescents. Au Kenya, on frappe les manifestants à coups de matraques et de décrets. En RDC et au Rwanda, on signe une paix sans les peuples, sans les pleurs, sans les preuves.
Trois dynamiques. Trois déflagrations. Mais un même mépris structurel de l'écoute, de la représentation et de la souveraineté populaire.
L'Afrique n'est pas en train de sombrer. Elle est en train de hurler. Mais qui l'écoute encore ?
Amadou Camara Gueye